A onze heures la petite vieille femme est montée tranquillement dans sa chambre.
Elle a pris une douche presque froide, s'est maquillée très soigneusement du bout de ses doigts tremblotants, a enfilé sa plus jolie robe un peu fanée, a passé ses petons dans ses plus hauts talons, et elle est sortie tout doucement.
Elle a longé la salle ou quelques vieux comparses ripaillaient encore à petites gouttes de mauvais champ.
Dans la rue elle trottinait, comme un peu fêlée.
Elle avait dans la mémoire une vieille chaleur bleu-nuit de contrebasse ; la belle et ronde tenue par l'un de ses enfants, le visage tout près du manche aux cordes vibrantes, concentré, yeux mi-clos.
Elle a croisé des humains qui faisaient grand bruit, mais je crois qu'elle ne les a pas entendus.
Elle continuait a clopiner, boitiller, le regard nulle part ; jusqu'au feu intemporel à réchauffer un réveillon de sans abris avinés.
Elle s'est approchée tout près, à la chaleur blonde et cuivrée des flammes qui rythmaient si bien le doux grave de la contrebasse dans sa tête.
Et elle a sorti un chiffon de la poche gauche du vieux manteau sur la jolie robe un peu fanée, et vite fait, comme un geste à peine, elle a jeté le chiffon dans le feu.
La petite vieille femme au maquillage un peu bleu, un peu rouge, regardait mourir le chiffon.
Dedans il y avait des jours et des ans. Le vieux passé. L'heureux et le triste. Les rires des enfants et les gronderies. Le sourire d'un très ancien amour. Une silhouette de jeune-fille . Un éclat de soleil. Un ressac.
Le tout enrobé de frissons de musique.
Alors une église de pierre raide grise et glacée a sonné douze.
La contrebasse s'est éteinte en la mineur.
Ut le 31/12/2014 ou le 01/01/2015